7. Les ventricules uniques
Description
Le terme ‘cœur univentriculaire’ ou ‘ventricule unique' (VU) regroupe un grand nombre de malformations cardiaques différentes qui ont en commun le fait que un des 2 ventricules ne s’est pas ou insuffisamment développé et ne pourra donc pas être utilisé pour le fonctionnement du cœur. En présence d’un seul ventricule, le sang rouge et bleu se mélange obligatoirement et le travail de ce ventricule est augmenté.
La fréquence des malformations de type ventricule unique est difficile à déterminer car ce groupe reprend un grand nombre de malformations différentes. On peut estimer cependant qu'il représente moins de 10% de l'ensemble des malformations cardiaques congénitales
Diverses classifications existent. En fonction de la présentation clinique initiale, on peut distinguer les ventricules uniques avec ou sans rétrécissement pulmonaire, c'est-à-dire obstacle sur la voie pulmonaire (au niveau, en dessous et/ou au dessus de la valve) gênant le passage du sang entre le ventricule et les artères pulmonaires. La présence d’un rétrécissement pulmonaire, engendre une cyanose plus sévère alors qu’en absence de rétrécissement pulmonaire le tableau clinique est celui d’une ‘défaillance cardiaque’ par excès de perfusion pulmonaire.
Les ventricules uniques peuvent également être distingués en fonction du type anatomique. De ce point de vue là, les 3 types les plus fréquemment rencontrés sont:
1. l’atrésie tricuspide, 2. le ventricule gauche à double entrée, 3 ; l’hypoplasie du cœur gauche.
1. L'atrésie tricuspide
La valve tricuspide et le ventricule droit ne se sont pas développés. Le sang bleu doit donc obligatoirement passer de l'oreillette droite dans l'oreillette gauche où il se mélange au sang rouge venant des poumons. Ce sang mélangé passe dans le ventricule gauche qui éjecte aussi bien dans l'aorte que dans l'artère pulmonaire, via une communication interventriculaire (CIV) et/ou par le canal artériel resté ouvert (figure 1). Dans cette malformation, les gros vaisseaux peuvent être normalement posés dans quel cas il y a souvent une sténose pulmonaire, limitant le passage de sang du ventricule vers les artères pulmonaires. Les vaisseaux peuvent par contre être ‘transposés’, c'est à dire que l'aorte naît du petit ventricule droit et l'artère pulmonaire naît du ventricule gauche. Dans ces cas, l'aorte est souvent plus petite et une coarctation de l’aorte est souvent présente.
Figure 1 : Atrésie tricuspide avec gros vaisseaux normalement posés
2. Le ventricule gauche à double entrée
Les valves tricuspide et mitrale sont toutes les deux orientées vers le ventricule unique gauche. Le petit ventricule ‘droit’, souvent situé à gauche (NB un ventricule est définit comme gauche ou droit en fonction de sa morphologie et non en fonction de sa position !), ne participe quasi pas à la circulation (figure 2). La transposition des grands vaisseaux est souvent associée (mais pas toujours): l'aorte naît du petit ventricule droit, l'artère pulmonaire naît du grand ventricule gauche. D'autres malformations peuvent être présentes comme une sténose pulmonaire, une coarctation, des anomalies des veines pulmonaires, etc.
Figure 2 : ventricule gauche à double entrée avec vaisseaux transposés
3. L'hypoplasie du cœur gauche
Dans ce cas, toute la partie 'gauche' du cœur ne s'est pas ou mal développée: la valve mitrale, le ventricule gauche, l'aorte (figure 3). Le ventricule droit doit faire l'entièreté du travail: éjecter le sang vers l'artère pulmonaire mais également vers l'aorte, et ce grâce au canal artériel (CA). Ici aussi, il peut y avoir d'autres lésions associées comme une coarctation, une anomalie du retour veineux pulmonaire etc..
Figure 3 : hypoplasie du cœur gauche
Beaucoup d’autres formes anatomiques existent, mais il est impossible de toutes les décrire. La présentation clinique, la prise en charge et le pronostic varient d'une malformation à l'autre, mais il existe néanmoins des grandes 'similitudes' entre ces différentes malformations. Ceci nous permet donc de vous donner une description assez 'générale' de comment un enfant se présente, comment il est pris en charge et ce que l'on peut espérer pour son avenir.
Présentation clinique
1. Ventricule unique avec rétrécissement pulmonaire : dès le premier jour de vie, en raison de l’obstacle vers les artères pulmonaires, l’enfant peut être cyanosé. Ce rétrécissement engendre un souffle cardiaque, audible à l’auscultation. Si le rétrécissement est sévère, la fermeture du canal artériel à quelques heures ou jours de vie peut rendre l’enfant extrêmement cyanosé et mettre sa vie en danger.
2. Ventricule unique sans rétrécissement pulmonaire : ces enfants sont souvent peu symptomatiques les premiers jours de vie. La cyanose résultant du mélange de sang est souvent peu visible. Après quelques jours, en raison de la baisse des résistances pulmonaires, l’enfant présente progressivement des signes de défaillance cardiaque par augmentation du débit sanguin dans les poumons: respiration rapide (polypnée), difficultés pour boire, transpiration lors des repas …Dans ce groupe cependant, il n’est pas rare d’avoir une coarctation de l’aorte associée. Lors de la fermeture du canal artériel, l’enfant peut dans ce cas présenter les signes typiques de la coarctation néonatale : pâleur, diminution des pouls fémoraux, hypertension artérielle dans les bras, polypnée et finalement choc cardiogénique si la coarctation est serrée.
Diagnostic
Le cœur univentriculaire est une malformation qui peut être dépistée par échocardiographie fœtale. Comme pour les autres malformations, il est capital qu’un médecin expérimenté en échocardiographie fœtale exclue, dans la mesure du possible, des malformations cardiaques associées importantes, car ceci peut profondément changer la prise en charge et le pronostic. L’avantage du dépistage in utero est de permettre l’organisation de la naissance de l’enfant dans un centre où il peut être pris en charge immédiatement (parfois en salle d’accouchement même) par une équipe de cardiologie pédiatrique et ce, sans devoir transférer l’enfant malade (et la maman) d’un hôpital à l’autre.
Lorsque le diagnostic est suspecté après la naissance, l’échocardiographie permet de faire un diagnostic très complet de la malformation. L’électrocardiogramme et la radiographie de thorax font également partie de la mise au point. Parfois, mais de plus en plus rarement, un cathétérisme cardiaque diagnostique est nécessaire pour compléter la mise au point.
Prise en charge à la naissance
Lorsque l’enfant nait dans un hôpital sans équipe de cardiologie pédiatrique, le pédiatre peut en cas de cyanose sévère (rétrécissement pulmonaire) ou en cas de défaillance cardiaque sur coarctation, débuter l'administration par voie intraveineuse, de prostaglandine E (Prostin®), médicament permettant de maintenir ouvert ou de rouvrir le canal artériel. Ce médicament permet de stabiliser l’enfant et de le transférer en toute sécurité vers un centre de cardiologie pédiatrique.
L’échocardiographie confirme ou infirme dans un premier temps la nécessité du canal artériel et donc de la poursuite de la prostaglandine E. Elle permet également de voir si une large communication entre les oreillettes est nécessaire pour un bon mélange sanguin. C'est le cas par exemple de l'atrésie tricuspide décrite ci dessus. Tout le sang bleu doit passer de l'oreillette droite vers la gauche. Il faut donc une large communication entre les deux oreillettes (CIA). Si l'enfant naît avec une petite CIA, les médecins doivent réaliser une 'septostomie au ballonnet' encore appelée septostomie selon Rashkind, permettant d’élargir la CIA.
(voir chapitre transposition des gros vaisseaux)
Certains enfants, en particulier ceux qui n’ont ni rétrécissement pulmonaire ni coarctation, ne nécessitent aucun des deux traitements. Lorsque les signes de défaillance cardiaque apparaissent, ceux-ci sont traités par médicaments administrés per os (diurétiques, digoxine et/ou inhibiteurs de l’enzyme de conversion, voir chapitre de la CIV).
Prise en charge après la stabilisation initiale
En cas de circulation univentriculaire, il est impossible de ‘rajouter’ un deuxième ventricule. Par contre, d’autres interventions sont possibles permettant de séparer le sang bleu et rouge et de réduire le travail du cœur. Le but final est d’atteindre une situation où le sang bleu désoxygéné est amené directement vers les poumons, sans passer par le ventricule unique ce qui permet alors à ce ventricule d’éjecter du sang parfaitement rouge vers le corps. Ceci ne peut pas se faire en 1 seule opération. En général, 2 voir 3 étapes sont nécessaires, la première en période néonatale (parfois non nécessaire), la seconde vers 6 mois, la troisième entre 2 et 4 ans.
1. La première étape : Le but de cette première intervention est de stabiliser la circulation pulmonaire et la circulation systémique (vers le corps). Certains enfants ne nécessitent pas d’intervention à ce stade car la nature a crée un équilibre adéquat spontanée entre les deux circulations.
En cas de rétrécissement sévère de la voie pulmonaire, nécessitant la présence du canal artériel pour assurer une circulation pulmonaire suffisante, le chirurgien peut placer un petit tuyau en Goretex entre l'aorte et l'artère pulmonaire encore appelé 'shunt de Blalock' d'après le chirurgien ayant décrit cette procédure (Figure 4). Ceci permet d’arrêter le traitement intraveineux de prostaglandine E, car le shunt remplace le canal artériel. Parfois, il est possible d’introduire par cathétérisme cardiaque interventionnel un stent dans le canal artériel maintenant celui-ci ouvert même en l’absence de prostaglandine, ce qui remplace alors l’insertion chirurgicale du ‘shunt de Blalock’.
En l’absence de rétrécissement pulmonaire, il faut intervenir pour limiter la quantité de sang arrivant aux poumons. Ceci se fait en général grâce à un cerclage de l’artère pulmonaire (‘banding’ en anglais), intervention consistant à mettre en place un anneau rétrécissant l’artère pulmonaire et limitant ainsi le passage de sang. Si le patient à une coarctation associé, celle-ci est réséqué pendant la même intervention. En cas d'hypoplasie du cœur gauche, ou autres malformations similaires, des interventions plus complexes sont nécessaires afin de réparer l'aorte qui est trop petite dans la plupart des cas (intervention de Norwood). Ces interventions plus complexes sont des interventions à cœur ouvert, plus longues et plus risquées pour le bébé que les deux autres interventions précitées. Certaines équipes tentent actuellement d’alléger’ ces interventions en faisant une partie de l’intervention par cathétérisme cardiaque, l’autre par chirurgie. (interventions ‘hybrides’). Il est actuellement encore trop tôt pour réellement connaître les bénéfices d’une telle approche.
Figure 4 : Shunt de Balock mis en place en cas d'atrésie tricuspide
2. La deuxième étape
Vers l'âge de 6 mois (parfois un peu avant ou après en fonction de l'évolution), le deuxième temps opératoire est programmé. Celui-ci est grosso modo le même pour tous, avec toutefois la possibilité de quelques variantes techniques en fonction de l'anatomie cardiaque. Il s'agit de l’intervention selon Glenn (ou appelé selon ‘Haller’ par certains) ou anastomose cavo-pulmonaire supérieure bidirectionnelle. Le principe consiste à déconnecter la veine cave supérieure (c'est-à-dire la grosse veine qui amène le sang bleu de la partie supérieure du corps vers l'oreillette droite) du cœur et de la brancher directement sur les artères pulmonaires. Le sang bleu venant de la partie supérieure du corps (tête, bras ..) est donc directement amené vers les poumons sans passer par le cœur via la veine cave supérieure (VCS) (figure 5). C’est une intervention à cœur ouvert, sous assistance circulatoire
Figure 5 : exemple d’atrésie tricuspide après anastomose cavo-pulmonaire supérieure bidirectionnelle. (AP = Artère Pulmonaire, VCS = Veine Cave Supérieure)
Après ce type de chirurgie, le sang s'écoule 'passivement' de la veine cave supérieure vers les poumons, en autre mots, il n'y a plus de 'pompe' qui propulse le sang venant de la tête vers les poumons. Afin que cette opération puisse donner des bons résultats, et que donc le sang de la tête et des bras s'écoule bien, il est impératif que les artères pulmonaires soient de bon diamètre et n'aient pas de rétrécissements sur leur trajet (sténoses). Un cathétérisme cardiaque préopératoire est donc nécessaire et/ou parfois une résonance magnétique nucléaire afin de vérifier ces différents aspects. Si les artères pulmonaires présentent des sténoses, il est éventuellement proposé de les dilater au moyen d'un ballonnet ou d’un stent lors du cathétérisme ou de les élargir lors de la chirurgie. Si les artères pulmonaires sont trop petites, une autre intervention est parfois nécessaire d'abord dans l'espoir de les faire grandir davantage.
3. La troisième étape
Vers l'âge de 3 à 4 ans, l'intervention de Fontan ou anastomose cavo-pulmonaire totale est programmée. Celle-ci consiste à amener le sang bleu de la veine cave inférieure (VCI), drainant la partie inférieure du corps, directement sur les artères pulmonaires. A ce moment-là, tout le sang bleu drainé par les veines caves arrive directement, mais ‘passivement’ dans les artères pulmonaires (figure 6). Il s’agit d’une intervention à cœur ouvert, sous assistance circulatoire. Plusieurs variantes chirurgicales existent, en fonction par exemple de la réalisation de la connexion à l'intérieur ou à l'extérieur du cœur. Le chirurgien laisse fréquemment un petit passage (fenestration), comme montré sur le schéma, entre le montage cavo-pulmonaire et le cœur, qui sert de 'soupape' en cas de passage difficile du sang vers les poumons (par exemple en postopératoire immédiat).
Figure 6 : anastomose cavo-pulmonaire totale avec fenestration en cas d'atrésie tricuspide et pulmonaire.
Comme pour la seconde étape, il est indispensable de réaliser avant l’intervention une évaluation complète avec cathétérisme cardiaque et/ou résonance magnétique, afin de vérifier la taille et la pression des artères pulmonaires, la bonne fonction du cœur et des valves etc... Le cathétérisme permet, si nécessaire, de dilater les artères pulmonaires. Rarement, en raison d'un mauvais aspect des artères pulmonaires (artères trop petites), de valves intracardiaques déficientes ou d'une mauvaise fonction du ventricule, il est préférable de ne pas réaliser cette opération de Fontan, en raison du risque de mauvais résultats. Les autres options doivent alors être discutées.
Suivi médical et avenir des patients avec cœur univentriculaire
Les patients avec ventricule unique nécessitent un suivi médical régulier pendant toute leur vie. Les contrôles sont fréquents pendant les premières années de vie, en attendant la dernière intervention de Fontan. Beaucoup d’enfants nécessitent des traitements médicamenteux comme les diurétiques (lasix®, dytenzide®), la digoxine (lanoxin®) et les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (renitec®, zestril®…) pour soutenir le cœur, l’aspirine ou les anticoagulants (sintrom®) pour fluidifier le sang, ceci surtout dans les premières années de vie. Le traitement médicamenteux peut souvent être allégé après l’intervention de Fontan. Certains enfants nécessitent d’autres interventions supplémentaires, soit par cathétérisme soit par chirurgie.
Lorsqu'un ventricule est absent ou mal développé, la chirurgie actuelle ne peut pas le 'reconstruire'. Autrement dire, l'ensemble des interventions décrites ci dessus sont des interventions 'palliatives' et non 'curatives'. Elles ne construisent pas un cœur normal mais permettent au sang bleu et sang rouge de circuler séparément, ce qui soulage le ventricule unique. Ces interventions permettent en général à l'enfant de grandir normalement, de fréquenter l'école, et même de pratiquer du sport. Cependant, il est possible que l'enfant soit moins performant au niveau sportif qu'un de ses camarades ayant un cœur normal. On peut ainsi comparer un cœur uni-ventriculaire à un 'moteur diesel', un cœur normal étant un 'moteur essence'. L'adaptation à l'effort est cependant très variable d'un enfant à l'autre et beaucoup de patients participent régulièrement à des activités sportives à l'école ou même en club extrascolaire!
Plusieurs femmes, arrivées à l'âge adulte, ont elles-mêmes eu des enfants. Les grossesses doivent cependant être suivies de très près par l'obstétricien mais également par un cardiologue ayant l'habitude de la prise en charge des patientes avec ventricule unique. La contraception doit être discutée et choisie en accord avec l'obstétricien et le cardiologue. De façon générale, il est capital que ces patients soient revus au moins une fois par an par un cardiologue expérimenté, et ceci même et surtout à l’âge adulte.
Avec le temps, le ventricule 'unique' peut montrer des signes de fatigue. Ceci est rare avant l'âge de 20 ans mais dépend du type de malformation cardiaque sous-jacente ainsi que de la prise en charge effectuée pendant l'enfance. Ceci peut se manifester par une fatigabilité plus importante à l'effort ou par des troubles du rythme cardiaque (palpitations, rythme trop lent ou trop rapide). Les troubles du rythme nécessitent une prise en charge agressive (médicaments, interventions, mise en place de pacemaker..) car en absence de traitement ils peuvent davantage fatiguer le cœur. En cas de 'défaillance' prononcée du ventricule unique, ne répondant pas aux médicaments ou à nouvelle opération, la greffe cardiaque peut être une option.
Pour plus d'informations sur les traitements : voir le chapitre "TRAITEMENT des CARDIOPATHIES"